Pour arriver au point B, il faut bien partir du point A, me répétait sans cesse Mme Krief, professeur de mathématiques au collège. Ce que Mme Krief ne disait pas dans son théorème un peu con, c’est qu’il faut encore avoir envie d’y aller, au point B, surtout quand il s’appelle Boscou (Désolé). Et pire encore, il faut se résoudre, à le quitter, son point A.

On dit que l’herbe est toujours plus verte ailleurs, mais le jour ou j’ai signé mon nouveau contrat, je me suis dit que j’avais peut être fait un peu fort, et que le l’herbe était finalement sûrement très verte la ou  j’étais. C’était il y a 5 ans. On peut dire que de l’eau a gelé sous les ponts, mais les souvenirs sont encore très frais dans ma tète.

Cette envie de se tirer en courant à la simple évocation de 3 mots, partir en Russie, je l’ai ressentie assez rapidement, passée l’euphorie d’avoir un contrat dans une vraie boite française, et point en tant que consultant bidon dans une SSII bidon. Très vite j’ai commencé à douter. Et les doutes, quand ils vous attrapent, ils ne vous lâchent plus.

Mais comment en 4 ans de cours de russe au collège, ai-je réalisé l’exploit de n’apprendre ni a lire, ni a écrire, ni même a dire autre chose que, bonjour, je m’appelle+nom a la con ?  Comment, de toute ma vie, ne me suis-je jamais intéressé à ce chouette pays qu’est la Russie mais dont je ne sais rien. Rien ? Pas forcement, récapitulons.

Alors, Saint Peterbourg, Moscou, et le reste ca doit être la Sibérie. Géographie, check. Nazdrovie, vodka, dasvidania. La linguistique, c’est bon aussi. Tolstoi, Dostoevski … La littérature, check. Napoléon a été en Russie et ca s’est pas très bien passe, ensuite il y a les communistes, et maintenant les gangsters. Ok, l’histoire c’est bon ! Encore que … J’ai comme un doute.  C’est vrai que les étrangers, on n’y connait pas grand-chose, a la Russie, j’aurais du écouter un peu plus en cours. Parents de Julien 1 – Julien 0.

Que dites-vous, cher lecteur? Ai-je pris le temps de réviser le russe? Je sais, ca parait évident ! Sauf que … non, passer 4 heures par jour a la bibliothèque avec la toute dernière version de » le russe sans peine» aux éditions  Mon-œil, ca ne m’a pas aidé tant que ca. Si, j’ai appris des phrases du genre : j’aime les fleurs, je suis très belle, j’aime cuisiner. On se sent tout de suite plus en confiance.

Non, et puis de toute façon, le départ se rapprochant, j’avais beaucoup de choses à faire, et plus trop le temps pour apprendre a conjuguer les verbes être et avoir au passe simple. Quand je dis beaucoup de choses, c’était surement vrai, mais je ne savais pas lesquelles. Alors dans les moments de déprime, j’allais m’acheter une paire de chaussettes en laine Décathlon. J’avais ainsi la double satisfaction de m’acheter quelque chose d’utile, mais à un prix raisonnable.

Plus le temps se rapprochait, plus je sentais le besoin de voir mes amis, ma famille, pour en profiter une dernière fois, me disais-je. Un peu comme dans ce film, 24 heures avant la nuit, ou le type passe sa dernière journée en liberté avant d’aller en prison. Moi ma prison, c’était un congélateur géant, qui m’attendait la porte grande ouverte. Mais les amis, quand ca veut vous faire chier, ils savent en général s’y prendre. « Mais pourquoi tu pars en Russie ? Tu n’es pas bien, la, avec nous ? « Qu’est ce que je pouvais répondre, moi, a part, « le boulot a l’air intéressant », ou « je ne sais pas, mais je sens qu’il faut que je le fasse« ?

La veille, je me suis dit qu’il était temps de faire ma valise, et j’y ai surtout mis des chaussettes. Et je m’en moquais pas mal. J’avais le cœur gros. Dans la pièce d’à coté, ma mère répétait a mon père que c’était une mauvaise idée, et mon père lui répondait de se taire. Ah, oui, le billet d’avion, ce serait vraiment dommage de l’oublier.

Le lendemain, départ pour l’aéroport avec mes parents. Dans la voiture, Chérie FM. Je me disais qu’après tout, si j’allais au point B pour revenir au point A, peut être valait’ il mieux y rester, au point A… A chaque instant, je me disais qu’il était encore temps. Et puis non, je n’ai rien dit. Nous sommes arrives a destination, direction le parking sous-terrain. Jamais un parking n’a autant pris pour moi cet aspect de couloir de la mort. Nous avons gare la voiture, pris l’ascenseur, et nous sommes dirigés vers la zone d’enregistrement.

Il n’y avait personne, mais j’ai du zigzaguer entre les bandes de sécurité avec ma valise remplie de chaussettes. Devant le comptoir, j’ai tendu mon billet, et on m’a pris mes bagages. L’hôtesse m’a souri et a tape sur son clavier pendant une minute ou deux. J’ai prié pour qu’il y ait un problème, mais non. Elle m’a remis mes billets, et m’a souhaité un bon vol. Comme un con, j’ai bafouille : Euh, oui, vous aussi.

J’ai repris mon billet, j’ai dit au revoir à mes parents, sans rien dire, que pouvais-je leur dire, et me suis dirigé vers la zone d’embarquement, tout en me disant que je faisais une énorme connerie. Une fois sur place, j’ai attendu, je ne saurais dire combien de temps. J’étais devant cette porte, le plus dur semblait fait.

Le soir même, je découvrais la place rouge, qui était recouverte de neige comme j’en avait rarement vu dans ma vie. Cette place, je l’ai revue des centaines de fois, elle est magnifique. On dit que les premières fois, on s’en souvient toujours. Ca, c’est des conneries.  Mais cette première fois la, je ne l’oublierai pas. Je me promenais autour de la cathédrale, armé de mon appareil photo et de ma chapka. J’avais chaud malgré le froid, j’étais surexcite malgré la fatigue, j’étais d’excellente humeur malgré mon voyage. J’étais heureux.